journal 2024-03

semaine du 11 au 17

le lundi en pause

le mardi séance d'analyse de la pratique professionnelle (app),
l'humeur est grincheuse, le 8 mars a été compliqué, des interactions sociales me troublent, j'ai peur de l'emprise à certains endroits et ça contamine - déborde tout en petite paranoïa persécutrice, je me recroqueville

à l'app les travailleuses parlent des soucis d'organisation du travail, d'ambiance d'équipe, de décrépitude institutionnelle généralisée ; je questionne leurs capacités d'action au-delà de la plainte et la colère

à la sortie de séance, je glisse un "le saviez-vous, il y a une date de grève du secteur social le 4 avril" mais je ne perçois pas d'écho, voire même du rejet, alors ça m'agace et ça me renvoie aux souvenirs de l'an dernier,

je n'ai plus envie d'être dissociée - comment me réaligner justement

il faudra élaborer plus clairement ces souvenirs, ce que ça vient tirailler,

le mardi soir je commence à préparer mes affaires

le mercredi je n'ai plus envie de partir à paris, j'ai envie de rester chez moi, me mettre en boule et pleurer, c'est l'heure des menstrues
je prends le train, je poursuis la lecture du tome 3 des Livres de la terre fracturée

j'arrive à 15h, je vais dans le marais; à la sortie du métro, effrayée par le spectacle de la vie parisienne, j'emprunte une minuscule ruelle, trouve un parc pour manger puis je vais à l'expo annie ernaux à la maison européenne de la photographie
j'ai toujours envie d'être chez moi, il y a la queue devant le musée, j'ai envie de m'enfuir mais je persévère, j'ai aussi envie d'aller voir ce que m'a conseillé sarah sur l'étage à propos des traces
la thématique générale me plaît mais ma sensibilité est fermée, ça parle d'observation de la vie quotidienne en dehors, d'être témoin silencieusement ou presque, être scribe photographe, dévoiler par le regard et l'écriture

après je me rends chez ari
je regrette de ne pas avoir eu l'énergie le lundi d'aller à la réunion d'accueil de l'arra, j'aurai sans doute pu voir pour récupérer un purificateur d'air au lieu d'aller à l'expo, pour réduire les risques même si je sais qu'ari pratique l'autodéfense sanitaire

l'angoisse empêche beaucoup de choses, la place qu'elle grignote est infernale et la culpabilité de ne pas être à la hauteur plombe

le jeudi je vais attendre zA à alésia, je bois un petit café en terrasse au soleil, je n'arrive pas pleinement à me réjouir et ça m'attriste, j'ai peur d'être inadéquate et je me demande ce que je fais de ma vie
avec zA on déambule, et c'est comme si on s'était déjà rencontré c'est facile malgré la timidité, et c'est rigolo quand elle m'emmène pour me montrer une rue et que c'est la ruelle dans laquelle je me suis réfugiée la veille

le soir c'est pizza, on va les chercher avec ari et on met le masque dans le restaurant et on dit comme c'est agréable de se sentir moins seulx avec
j'assiste à une séance de jeu de rôle, c'est chouette

après je dors mal et peu, je me réveille et des larmes viennent, à la fois en décharge et en craintes, je dois faire une petite heure de métro pour aller à un séminaire dit doctoral toute la journée, qu'est-ce que je fais de ma vie, j'ai l'impression que ce qui va se passer va être décisif et c'est comme être au bord d'une falaise
je pense à tous les messages que je n'envoie pas, pour prendre et donner des nouvelles, l'impression d'être une mauvaise amie, ne pas être à la hauteur encore

le campus condorcet est immense, une beauté creuse où le sécuritaire dévore l'accueil
en attendant que ça débute, je m'installe sur une table, je peux balancer mes jambes dans le vide en lisant le dernier article de Léna Dormeau sur la "santé mentale" et la folie, c'est un bon cocon

-- le séminaire --

il y a une porte restée fermée pour pouvoir boire du café
une ronde qui écoute avec application, des paroles qui s'essaient avec des rires confiants

marion serre raconte sa trajectoire et ses recherches, dont celle en cours avec la chaire Mutations et le CNOUS, les livrables sont superbes

ça parle de l'habitat et de fabriquer du commun, d'antennes qui se déploient, de comment résister à l'institutionnalisation de soi, de l'attention à l'infra-ordinaire, l'existence moindre de la banalité à ne pas formaliser pour qu'elle reste vivante
je pose une question qui n'a pas de réponse, comment transmettre la posture de recherche, qu'est-ce qui fait que ça prend ou pas et comment aider à ce qu'elle perdure quand on n'est plus là

à midi, un sandwich sous les giboulés de mars, des débuts de conversation hors de la ronde, je n'ai pas retenu tous les prénoms; la dame en thèse vae dont la fille de 16 est au lycée autogéré et qui veut s'orienter vers la psycho (ou être scénariste, c'est presque pareil, la narration au coeur) et dont le travail avec les carnets de sa grand tante fait grand écho à une des expos de mercredi
je dis que je suis là en touriste, affiliée à rien, j'explique travailler sur la santé communautaire, commence à parler égalité salariale entre médecins et travailleurs sociaux, une autre dame ne comprend pas

l'après-midi c'est izabel galvao qui prend la parole, elle prépare son hdr, elle raconte sa lenteur, l'hybridité de la capoiera (est-ce une danse, une lutte ; une ruse et un jeu), elle accompagne des équipes dans le secteur social comme un centre d'hébergement d'urgence aux grands voisins où une mémoire collective se construit / se révèle, est-ce de la recherche ? les lieux, les seuils, ce qui se fabrique en concret comme une terrasse, autour d'un billard
je pense à la frontière à la cafèt' de rue où j'ai travaillé, là tu peux boire ta bière, un pas à côté il y a la table où on fait les démarches sans bière, je pense à plein d'autres choses, je me demande comment retrouver une mémoire collective avec l'état actuel du secteur social, quand mardi une salariée embauchée depuis un an disait qu'elle faisait partie des plus anciennes de l'équipe, j'hésite à prendre la parole pour évoquer la grève du 4 avril, est-ce que ça existe dans les esprits présents

il y a benjamin roux, des éditions du commun, sans doute par ce biais que j'ai découvert la revue agencements et la fabrique, q. m'avait offert un abonnement il y a deux-trois ans, j'ai presque pris mon tote-bag le grand renversement plutôt que le vieux sac à dos vert et j'hésite à sortir le petit carnet "ceci n'est pas un point de vue" pour lui demander pourquoi la pagination est inversée
dans les échanges, j'apprécie les associations libres, les tentatives d'élaborer en écho, des exemples de pratiques diverses, ce qui nous interroge

régis garcia parle de ce qu'il observe dans un dispositif entre travailleurs sociaux et parents, l'hybridité quand on s'ouvre à être autre chose qu'un statut-rôle-fonction
je discute après avec quelqu'un qui parlait d'une dialectique hegelienne (je ne sais pas ce que c'est) pour lui conseiller the undercommons à propos du travail immatériel ingouvernable qui est déjà-là, qui pré-existe et résiste aux tentatives de son institutionnalisation - formalisation - nomination par des pouvoirs extérieurs
le concept sert juste pour penser, il aide à réfléchir et s'arrête là, pour ne pas enfermer et être extractiviste
ça parle aussi d'intersectionnalité, l'hybridation par la créolisation et édouard glissant ; moi je pense aux modes d'existence pour contrer l'identité, et au texte sur le mouvements de confluences pour dépasser le statut-rôle-fonction qu'on retrouve dans les catégorisations intersectionnelles
[en octobre dans mon carnet ribambelle, "je pense à un livre que j'aimerai façonner, ça parlerait des modes d'existence, ça serait pour promouvoir le fait de parler en terme d'existence plutôt que par le biais de l'identité, car se présenter / se définir est un exercice inatteignable quand on est fol, et quel bricolage clinique alors se constitue autour des existences non diagnostiquées" et faire recherche en mad-crip studies]

en fin d'après-midi, c'est thomas arnera qui ferme la journée (ou qui l'ouvre ailleurs) en déposant des objets - artefacts au centre de la ronde,
une trousse avec des stylos
un carnet
un téléphone à l'écran fissuré
un livre
un journal en friche d'un doctorat
une paire de lunettes
autre chose peut-être il revient en arrière, gesticule ses notes, lit en poésie ce qu'il a retenu et inscrit
je ne sais pas ce qu'est une friche, ce n'est pas très grave
l'énergie tremblante est contenue dans l'épuisement partagé

[ce matin je relis mes notes sur ribambelle, c'est en fait mon pré-carnet hypotheses-html, pascal nls à un moment parlait du geste d'écritures, du monument que semble être l'écriture d'une thèse alors que tout ce qui s'écrit en dehors fait parti du texte, que les paysages paysans n'ont pas besoin du contexte du sachant, des conversations qui sont amples et n'ont pas besoin d'une méthodologie pour dire
début janvier donc dans mes notes sur ribambelle: "car est-ce que l'écriture est une parole, est-ce que la parole s'écrit ; de quoi ça parle ? et à qui, vers quoi cela s'adresse ? le silence donnera peut-être une réponse."]

j'ai l'impression d'avoir mille conversations en cours avec beaucoup de personnes, j'avais d'ailleurs commencé une liste de mes correspondances, il y a des figures de ficelle qui s'entortillent, et de la frustration de tout ce qu'il y a encore à dire, où trouver l'espace de poursuivre sereinement les échos de ce qu'on me raconte, de ce dont je suis témoin, que ça ne reste pas seulement en moi, faire se rencontrer toutes ces personnes qui auraient aussi tant de choses à se raconter, se faire découvrir
en novembre dans le carnet ribambelle, il y a une citation de the talos principle
You've shown compassion for your fellow humans, and open-mindedness to the point that your brains might fall out.

pour une fois, je ne suis pas la première à sortir de la salle, j'ai envie de continuer à papoter malgré la fatigue et un début de mal de tête
je discute avec thomas et un autre "touriste", lui vient je crois de la mécano et a repris des études autour de l'écologie, la journée lui a plu également, il évoque rapidement le low-tech

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je prends le métro retour, il y a du monde, je descends plus tôt pour finir le trajet en marchant, (...)

je dors de nouveau très mal, vers 6h je suis réveillée et je pleurs, des larmes vides, qu'est-ce que je fais de ma vie, j'ai envie de rentrer chez moi, je regarde les trains, j'envisage de rentrer dans la journée plutôt que le lendemain matin, il y a trop d'incertitudes pour gérer mon instabilité sur toute une journée-soirée à paris, je me rendors un peu, j'ai rdv chez mon frère, (...)
dans le métro je n'arrive pas à retenir mes larmes, le masque les essuie, je discute avec q. et ça me calme, (...) j'aurai aimé être en capacité de (...) tant pis, je serai chez moi ce soir
j'arrive à faire bonne figure (...) à 14h, je reste un peu auprès de mon frère fatigué et de ma nièce qui ne veut pas faire la sieste avant d'aller prendre mon train, je n'arrive pas à dormir malgré l'épuisement, j'écoute space is only noise de nicolas jaar et je continue la lecture du tome 3 des livres de la terre fracturée et poursuis des discussions par messages
à 21h30 je suis chez moi, et la nuit est reposante, le corps se détend se relâche, je reste au lit tard le matin, c'est dimanche je suis dans le papasan et j'écris.